Extrait de la revue "Cultures et Foi" de Lyon
Près de 170 artistes ont répondu le lundi 17 février à la Maison diocésaine, à l’invitation de René Auboyer d’ouvrir ensemble cette année 2000 par une rencontre avec Monseigneur Louis-Marie Billé.
« Je souhaite, a dit celui-ci en introduisant cette soirée, que cette rencontre puisse me permettre de mieux vous connaître et que vous puissiez exprimer ce qui vous préoccupe, ce que vous voudriez que l’Église fasse ou ne fasse pas, dise ou ne dise pas ».
Les relations entre l’Église et les artistes demeurent en effet complexes, chargées par l’histoire d’incompréhensions mutuelles, et nécessitent un besoin profond de dialogue, de reconnaissance réciproque. Paul VI l’avait humblement reconnu devant les artistes eux-mêmes : « Nous vous avons parfois imposé une chape de plomb… Nous vous avons, nous aussi, abandonnés… Nous ne vous avons pas eus comme disciples, amis, interlocuteurs… Nous vous avons offensés en recourant à du faux, à l’œuvre d’art à bon marché. Nous devons refaire notre alliance… Nous devons laisser vos voix exprimer le chant libre et puissant dont vous êtes capables ». C’était en mai 1964 dans la chapelle Sixtine à Rome. Discours qui fit date ! Mais l’écart entre l’Église et les artistes n’a cessé pourtant de s’accroître en proportion d’ailleurs de la crise culturelle que nos sociétés ont traversée. Les artistes se situent particulièrement sur les lignes de fracture de notre vie, là où notamment notre société a vécu en quelque sorte « une sortie de la religion ». La Lettre de Jean-Paul II, d’avril 1999, a manifesté donc la volonté de reprendre le dialogue et de renouer une alliance avec les artistes.
C’est bien dans cette ligne d’accueil et d’ouverture, s’appuyant à plusieurs reprises sur cette Lettre du Pape, que Monseigneur Louis-Marie Billé a fait part aux artistes présents de ses réflexions personnelles, teintées de sa propre sensibilité à l’art. Il s’est appuyé pour cela sur une enquête du Figaro littéraire de décembre dernier qui posait cette question : l’Église a-t-elle renoncé à l’art ? pour faire état de la situation. Des opinions contradictoires de l’historien Jean Delumeau, du peintre Georges Mathieu, de l’écrivain Sylvie Germain ou du sociologue Émile Poulat, interrogés par ce journal, Monseigneur Billé concluait en reconnaissant que l’Église a vraiment besoin de l’art pour « traduire ce qui de soi est ineffable », mais qu’inversement, malgré le caractère provocant de cette affirmation, que l’art avait lui aussi besoin de l’Église. L’art en effet jette des ponts vers l’expérience religieuse, et les artistes peuvent accéder en l’homme, par d’autres voies que l’expression religieuse, à cette « partie de l’âme » où se nourrit la foi ; dans l’autre sens, aux hommes d’Église revient la tâche de redécouvrir la dimension spirituelle qui caractérise l’art. Tout est pourtant à reconstruire dans ces relations, et leur champ va bien au-delà de l’affirmation ou non d’un art religieux. C’est le caractère sacré de tout art qui est en jeu, sa liberté. L’Eglise n’a donc pas renoncé à l’art, et bien qu’elle ne soit plus directement inspiratrice ni commanditaire, son message peut continuer de près ou de loin à inspirer les artistes et donner un horizon à l’appel au mystère qui est le cœur de tout art.
Lors de la seconde partie de cette rencontre, les artistes ont fait part librement à Monseigneur Billé de leurs questions, quelquefois sous forme de souffrances, d’attentes ou de manques…
L’art de la parole est trop négligé dans la liturgie… Tristesse poétique des textes et misère des chants paroissiaux, platitude, où est la beauté, cette beauté qui rend possible aussi la communion d’une assemblée... La vision de l’art dans notre enseignement est trop occidentale, une ouverture à l’universel manque à la formation des jeunes et des prêtres.
L’Église s’intéresse-t-elle à tous les arts ou seulement à ceux qui sont représentatifs de l’Église et de son message ?… Églises ouvertes ou églises fermées pour protéger les œuvres qu’elles abritent ?…
Besoin exprimé également que soit reconnue la spécificité du travail créateur : « Je crois en Dieu quand je travaille, disait Matisse à Vence. Il y a une rencontre entre les croyants et les créateurs, ils vivent des routes croisées qui demandent à être respectées chacune dans sa liberté, chacune dans son mystère » (Paul Gravillon).
Quelques artistes ont fait au fil des échanges des professions de foi personnelle sur la pratique de leur métier : « « L’art est un langage, une communication. Il est une communion s’il y a une expression vraie et authentique » (Jeanne Bertrand-Morel, peintre). « L’art est une prière quand on travaille dans le sens de ce que l’on est vraiment » (Claudius Pralus, aquarelliste). « L’art a besoin de la foi : il y a en lui une capacité d’expression de la transcendance, cachée dans l’authenticité, pourvu que l’artiste ne fasse pas ‘la putain’ et qu’il corresponde le plus possible à lui-même » (Georges Gaillard, peintre).
Enfin, des premiers éléments de réponse ont été apportés par le Père Beauvery, responsable régional des commissions d’art sacré. Il s’agit pour lui essentiellement de sortir d’un art confessionnel. « L’enjeu de l’art contemporain est sa capacité de transcender, de rejoindre l’homme actuel et de parvenir à un art spirituel. Il s’agit que l’art dise quelque chose en dehors des cadres religieux. Comment vont s’opérer ces passages ? Comment l’art va-t-il aider l’homme contemporain à les parcourir ? Ce qui serait grave, ce serait d’enfermer la relation de l’Église aux artistes dans le seul cadre de l’art confessionnel ».
Il revenait à Monseigneur Louis-Marie Billé de conclure ce premier échange. « En ce qui concerne la question de la parole, des textes, de la musique et de la dimension artistique de la liturgie, ces appels retentissent particulièrement dans les commissions d’art sacré, et globalement, je pense que les choses vont plutôt dans le bon sens… La rencontre entre l’Église et l’art est une rencontre de deux libertés : si l’art est un langage qu’on instrumentalise, on ne peut plus vraiment parler d’art… La relation Église/art n’est pas celle de l’art confessionnel ; l’Église est porteuse d’un mystère tel que sur le visage d’un homme on peut rencontrer le visage de Dieu. L’art ne peut pas récupérer ce mystère, mais il peut servir l’humanité. Je vous remercie de cet échange, il est à renouveler ».
Jean-Luc Grasset
L’Archevêque parmi les artistes